Mary Quant - Innovatrice intrépide
Article par Caroline Paquette-Méthé
L’entrepreneure au nouveau souffle
Le modèle commercial typique de la mode avait très peu évolué depuis le début du siècle jusque dans les années soixante: les couturiers créaient des vêtements sur commande et vendaient parfois accessoires et maquillage dans leur boutique de luxe. Seuls les gens bien nantis avaient alors accès au privilège de l’élégance. Au début des années 60, cependant, un vent de changement vint bousculer les conventions de la mode.
C’est au cœur du quartier de Chelsea en Angleterre qu’une jeune entrepreneure pleine d’idées et d’enthousiasme ouvrit ce qui est considéré aujourd’hui, comme la première boutique de mode indépendante du Royaume-Uni. Cette jeune femme allait, sans le savoir, être à la tête d’un mouvement mondial qui donnerait pour la toute première fois la parole et le pouvoir aux jeunes.
Mary Quant n’a pas suivi de formation en mode ni en commercialisation, mais cela ne l’empêcha pas de devenir une icône de l’industrie de la mode des années 60. En 1955, lorsqu’elle ouvrit avec l’homme qui deviendrait son mari sa première boutique « Bazaar » sur King’s Road, le quartier était en pleine effervescence.
Les temps difficiles qui accompagnèrent la Seconde guerre mondiale et la période de reconstruction qui la suivit commençaient à se faire oublier.
Robes de gauche à droite : 1963 (remporta le prix de la robe qui représente le mieux les idées contemporaines du Fashion Museum de Bath), 1966, fin années 60
Le pays avait retrouvé son insouciance et sa joie de vivre et la nouvelle génération, à l’aube de l’âge adulte, tremblait d’excitation. Tous étaient habités par l’envie du nouveau, de quelque chose qui leur ressemblerait, qui leur appartiendrait.
C’est dans cet état d’esprit que Mary Quant, découragée de ne pas trouver les vêtements qu’elle avait envie de porter dans les magasins, décida de les fabriquer elle-même.
Malgré ses débuts maladroits de femme d’affaire, la popularité de sa boutique explose dès son ouverture. Le style nouveau, moderne et jovial des vêtements qu’elle propose intrigue et provoque l’enthousiasme.
C’est que sa boutique est radicalement différente des lieux où on achète la mode ordinairement : les employés sont tous jeunes, il y a de la musique Jazz et des boissons servies sur place. L’ambiance décontractée, sociale et ouverte fait rapidement de la boutique Bazaar un lieu de rencontre pour les artistes, les jeunes et les fashionistas de tout Londres.
Devant ce succès inattendu, Mary Quant, qui apprend sur le tas, doit se réorganiser rapidement : elle ne peut plus fournir son magasin avec les robes qu’elle fabriquait dans sa chambre à coucher le jour, faites de tissu qu’elle achète au prix de détail.
Même avec l’aide de nouvelles couturières, ce n’est pas assez et ses vêtements demeurent trop cher à son goût… Elle se tourne donc vers les manufactures industrielles qui commencent à se développer. Elle prend également des cours de coupe le soir pour affiner ses connaissances.
Son succès grandissant attire des personnalités étrangères tel que Audrey Hepburn et Brigitte Bardot, et bientôt, Londres vole le statut de capitale de la mode à Paris. En 1957, soit deux ans après l’ouverture de sa boutique, elle signe un contrat avec le géant américain JCPenney’s pour créer des vêtements et sous-vêtements pour le marché de masse. Ce contrat lucratif lui ouvre les portes du marché international. L’année suivante, Mary Quant fonde le Ginger Group Line au travers duquel elle produit en masse et distribue son look Mod.
Les vêtements qu’elle propose font contraste avec la mode de la décennie précédente : les femmes mûres et élégantes avec leur robe cintrée et leur rang de perles ne sont plus d’actualité. Les jeunes filles n’ont plus envie de s’habiller comme leur mère!
Mary Quant crée donc des vêtements qui correspondent davantage aux goûts et aux besoins de sa génération : de plus en plus, les jeunes femmes travaillent, il leur faut donc des vêtements dans lesquels elles puissent bouger. Elle s’inspire des vêtements d’enfant et de danseur pour leur confort, avec des lignes simples en accord avec la culture moderne qui prévaut alors dans Londres, mais ce qui marque surtout l’histoire et l’imaginaire collectif, c’est l’apparition de la minijupe.
On attribue généralement cette invention à Mary Quant et André Courrèges, bien que Quant a toujours affirmé qu’il s’agissait d’une invention collective faites par les femmes ordinaires qui choisissaient de raccourcir continuellement l’ourlet de leurs robes.
À l’époque, la minijupe fait scandale : on en parle dans les journaux, à la télévision, les femmes se font interdire l’entrée dans certains lieux chics à cause de l’indécence de leur toilette et des gens viennent cogner dans la vitrine de la boutique Bazaar en décriant la longueur des ourlets. Pourtant, l’objectif de Quant n’a jamais été de déshabiller les femmes mais de leur offrir plus de mobilité. Aussi, elle présente souvent ses modèles avec des collants ou des chaussettes aux genoux.
Les innovations de Quant ne s’arrêtent pas là : elle rajeunit considérablement l’esthétique de l’époque avec un raz de marée de couleurs vives, des gros motifs inspirés des courants Opt Art (Optical Art) et Pop Art. Elle utilise des matières confortables et faciles d’entretien comme le jersey et le synthétique que l’on n’a pas besoin de repasser.
La minijupe oblige, elle introduit les collants, qui jusque là n’étaient portés que par les danseurs, pour remplacer les bas et les jarretelles. Elle commence à utiliser le PVC, matériel très nouveau pour l’époque, et conçoit des vêtements de pluie et des bottes et souliers moulés.
Pour ses défilés, elle demande à ses mannequins de sauter, de courir et de danser, le tout sur fond de musique Jazz. Elle transforme les présentations mode et les publicités en véritables spectacles. Elle crée également des patrons de couture, rendant son look encore plus accessible aux couturières à la maison.
À partir des années 70, Mary Quant se consacre davantage à la création de maquillage et d’accessoires de maison. Elle a, au cours de sa carrière, eu l’occasion de faire le design d’une multitude d’objets dont une voiture Mini-Cooper et une poupée mannequin nommée Daisy en référence au logo de sa marque.
Swinging Mary
Le succès de Mary Quant s’explique par plusieurs choses : d’abord, elle a su anticiper et répondre non seulement aux besoins des jeunes femmes de son époque mais aussi à leurs désirs. Sa volonté de garder ses produits à un prix abordable pour la classe moyenne a grandement contribué à la démocratisation de la mode. Elle a dirigé l’élan créatif de toute une génération en s’inspirant directement d’elle sans jamais contrôler ni imposer ce dont elle devait avoir l’air. Avec son esprit curieux, vif et aventurier et son désir d’enfreindre les règles préétablies, Mary Quant incarne l’idée même du Swinging Sixties.
La série photo avec PETiTOM!